harmonie

D’une certaine manière, la religion est à la foi ce que le solfège est à la musique, un moyen non pas une fin. Pour que sa musique parvienne jusqu’à nous, il est heureux que Mozart ait pu écrire ses partitions.

Que nous soyons insensibles à celle du Christ est notre pleine liberté. Que les fausses notes de ses piètres interprètes nous laissent à distance ne peut que s’entendre. Que le second point serve de prétexte au premier et c’est nous qui jouons faux.

miséricorde

« Quiconque dira une parole contre le Fils de l’homme, cela lui sera remis, mais à qui aura blasphémé contre le Saint-Esprit, cela ne sera pas remis. »

Quel est donc ce péché impardonnable contre l’Esprit dont parle le Christ ?

Rappelons d’abord ceci : ce que le christianisme a de plus précieux à nous dire est qu’il n’y a pas lieu de mettre à la miséricorde divine des limites qui n’existent que dans notre propre esprit. En d’autres termes, il n’y a pas une faute, aussi incommensurable soit-elle, que Dieu ne puisse, ne veuille, pardonner.

En résumé : on peut dire contre le Christ, pas contre l’Esprit, alors même que le Père est infini pardon. Comment sortir de cette trinitaire aporie ?

La problématique de l’homme est toujours sa liberté. Face à nos fautes, notre conscience – autant qu’elle n’est pas obscurcie, ou faussée par procuration – nous incrimine et nous juge, elle est l’accusatrice. Mais il est un défenseur, qui est précisément l’Esprit (ou Paraclet, c’est-à-dire étymologiquement, l’avocat qui intercède, console).

La faute à son encontre est sa révocation, le pardon avec.

loi

« La loi est faite pour l’homme et non pas l’homme pour la loi. » Cette parole du Christ est au cœur du christianisme.

On observera d’abord que loi il y a : « être un homme, c’est s’empêcher ». Ce commandement moral procède soit de la raison humaine (c’est la thèse de Nietzsche, Kant…), soit d’une transcendance.

En introduisant une dynamique – la loi n’est pas l’alpha et l’oméga – le Christ stipule que la vérité ne procède pas de la raison mais qu’il existe au-dessus de la raison – censée sinon forger seule son commandement moral – une vérité première telle qu’elle peut affranchir la raison de son propre commandement. « L’homme n’est pas fait pour la loi » qui est la raison même de son humanité. Cette humanité n’est donc pas sa fin.

L’homme n’a alors le choix qu’entre se retourner vers la transcendance ou « progresser » vers le post-humain…

richesse

J’écoutais récemment un auteur dire que parfois le ton du Christ dans l’Évangile l’avait horripilé (sic), prenant pour exemple « il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu« , qu’il appréhendait comme une sentence sommaire et malsaine introduisant une mauvaise conscience à l’égard de la propriété et de l’aisance matérielle.

L’esprit sans l’Esprit demeure embué. Le Christ ne méprise rien, pas même l’argent. Littéralement, il n’affirme en aucune manière que l’entrée du royaume est d’une étroitesse telle qu’on ne puisse la franchir sacoches à billets sur le dos. Dieu ne laisse personne à la porte au motif de l’argent, c’est le motif de l’argent qui parfois laisse Dieu à la porte.

Le Christ n’érige pas une loi divine d’incompatibilité, il opère un humain constat : « Là où est ton trésor, là aussi est ton cœur. »

sommet

La vérité n’étant pas quelque chose mais quelqu’un – la personne même du Christ -, un chrétien ne la possède pas et ne peut que se laisser éclairer par elle.

Chaque être, par son milieu d’origine, sa culture, son vécu, son tempérament, sa pâte humaine, est unique. Il en va de même de son cheminement spirituel avec ses élans, ses freins, dans la liberté de ses pas, la douce patience de Dieu.

Il faut un sommet pour un infini panorama et nul ici-bas ne saurait l’atteindre. Le christianisme ne peut donc être une parfaite union de points de vue mais, plus haut et par avance, qu’une communion.

mesure

Face à l’horreur d’un crime dont on essaya de lui faire relativiser culturellement l’abominable mise en scène, le père d’Albert Camus finit par asséner : « Non, un homme, ça s’empêche. » L’engagement et toute la démarche d’intellectuel de son fils se résument en cette réplique qu’en son domaine plus tard il formula ainsi : « L’intransigeance exténuante de la mesure. »

Les Grecs avaient un mot qui constitue à lui seul une attitude, quasi une philosophie : l’aidôs. Ce terme recouvre à la fois les notions bien comprises de pudeur, de modération, de honte, d’honneur, d’égard, toutes choses que recoupe d’une autre façon le concept de « décence ordinaire » développé par George Orwell.

Je me suis demandé comment le Christ dans les Évangiles aborde et présente cette exigence de vie. En visant plein cœur, forcément, par une mesure radicalement supérieure dont n’auront cure les réalistes et dont le grand malheur est qu’elle ne nous laisse guère exténués : « Aime ton prochain comme toi-même. »

avant-garde

La soi-disant avant-garde artistique préfigure les évolutions sociales et sociétales, les mêmes ressorts étant à l’œuvre.

Il y a belle lurette que dans l’art les tabous ont été transgressés. C’est l’enjeu et l’essence même d’un certain art contemporain, en tout cas de sa philosophie sous-jacente, que d’abolir tous les codes de l’académisme, du classicisme et, bien peu accessoirement, du christianisme à leur source. Sorte de bras armé d’une vision prométhéenne opposée à toute forme de transcendance, son bouclier est un terrorisme intellectuel qui a tôt fait de rendre illégitimes ses contradicteurs en les qualifiant de réactionnaires, voire carrément de fascistes. Il est des penseurs pour en alimenter le courant, quand sur le terrain la plupart des acteurs ont seulement bien compris que c’est dorénavant la notoriété qui fait l’excellence, non l’inverse, et que provocation et transgression octroient, plus qu’un peu de talent et beaucoup de travail, la bonne assurance d’un relais médiatique.

La diffusion était inéluctable de cette philosophie depuis le champ artistique vers le champ social et sociétal : ici le refus de tout académisme, là conséquemment et rapidement la négation de toute autorité, avec codes et valeurs. C’était même une voie royale, ce ver pseudo-artistique dans le fruit étant difficilement attaquable, sauf à censurer, et alimenter la pompe à fascistes.

Quand il est interdit d’interdire –  sans doute « artistiquement » toujours à juste titre – on peut toujours ignorer. Dans la fuite en avant qu’est sa course à la surenchère, ce pseudo-art finira par tomber dans les oubliettes. Il demeure que son mal est fait.

aîné

« Le Salut vient des juifs », professa un nazaréen à une samaritaine un certain midi au puits de Jacob.

Le Christ est venu accomplir, non abolir, il ne fait alors guère de doute que la vocation du peuple du Fils n’oblitère pas celle du peuple, aîné dans la foi, du Père. Et quel peuple ! Quatre mille ans d’exode, d’esclavage, d’occupation, de dispersion, de persécutions, de pogroms et une tentative d’extermination auraient dû à jamais le fondre dans la masse des nations. Il n’en est rien. Sa tête dure provient peut-être du jour où la vue du Veau d’or entraîna Moïse descendu du Sinaï à comme lui fracasser sur le crâne les Tables de la Loi. Depuis, juif athée a des airs d’oxymore.

A l’image du Père dans le Fils et inversement, ainsi judaïsme et christianisme ; ainsi devraient-ils être. Les feuilles peuvent ne pas apercevoir leur racines et réciproquement, elles n’en sont pas moins du même chêne quatre fois millénaire de cette vallée de Mambré où Abraham hébergea sous sa tente tout comme une Trinité.

responsabilité

La spécificité prodigieuse du christianisme est l’Incarnation : Dieu s’est fait homme. Très naturellement, il a été un enfant, d’une certaine manière le demeure, ce que passé Noël nous sommes portés à oublier. Ce que nous risquons alors de perdre de vue est la responsabilité vis-à-vis de Dieu qui nous incombe, la même exactement que celle vis-à-vis d’un enfant : le protéger. De quoi ? De nous-même pour commencer comme en ce monde de tout ce qui le dénature, le défigure, le falsifie. Il s’agit dès lors de lui faire grâce autant au moins que lui rendre grâce.

Ces deux sens – rendre grâce, faire grâce – se trouvent simultanément inclus dans le verbe bénir dont on remarquera pourtant qu’il sait à l’usage à quoi s’en tenir : nous bénissons Dieu, il nous bénit.

destination

« Aime et fais ce que tu voudras », disait Saint-Augustin. Toute la Loi est là, étant d’abord entendu qu’aimer consiste également et peut-être avant tout à ne pas faire ce que l’on veut et parfois encore à faire ce que l’on ne veut pas.

Les contempteurs des dogmes ecclésiaux, soi-disant carcéraux – quand ils ne sont, disait André Frossard, que « des fenêtres ouvertes sur l’infini » -, s’avèrent d’implacables chantres du moralement correct. Rien d’étonnant. Leur évangile sans Dieu se réduit de facto à un corpus de valeurs morales, ce que le christianisme n’est in fine qu’accessoirement tant son message bien compris se résume en ceci : nous venons de l’amour et nous sommes faits pour y retourner.