auréole

Sainteté n’est aucunement synonyme de perfection. Au contraire, un saint a plus que tout autre la conscience aiguë de ses impuretés. Plus on approche un drap de la lumière, plus on en perçoit les taches : des auréoles.
Ce n’est pas tant ses œuvres qui font le saint – il n’est nul besoin de croire pour agir – que sa disponibilité pour laisser Dieu œuvrer en lui, c’est-à-dire l’accueillir. Ce que Saint-Augustin sublime ainsi : « La grâce du Christ ne réside pas dans son exemple, mais dans le don de sa personne. »

souci

Mon Dieu, qu’attends-tu de moi ? Telle est, plus qu’une prière, la supplication de l’homme de foi face aux aléas, aux obstacles, aux peines apparemment perdues.

En ces incontournables moments de questionnements, il n’est assurément de bonne attitude que celle d’Edith Stein : « Je ne me fais pas de souci, Dieu sait très bien ce qu’il doit faire de moi. »

dommage

Après avoir achevé tout son discours devant le peuple, Jésus entra dans la ville de Capharnaüm. Un centurion de l’armée romaine avait un esclave auquel il tenait beaucoup ; celui-ci était malade, sur le point de mourir. Le centurion avait entendu parler de Jésus ; alors il lui envoya quelques notables juifs pour le prier de venir sauver son esclave. Arrivés près de Jésus, ceux-ci le suppliaient : « Il mérite que tu lui accordes cette guérison. Il aime notre nation : c’est lui qui nous a construit la synagogue. »

Jésus était en route avec eux, et déjà il n’était plus loin de la maison, quand le centurion lui fit dire par des amis : « Seigneur, ne prends pas cette peine, car je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit. Moi-même, je ne me suis pas senti le droit de venir te trouver. Mais dis seulement un mot, et mon serviteur sera guéri. Moi qui suis un subalterne, j’ai des soldats sous mes ordres ; à l’un, je dis : ’Va’, et il va ; à l’autre : ’Viens’, et il vient ; et à mon esclave : ’Fais ceci’, et il le fait. »
Entendant cela, Jésus fut dans l’admiration. Il se tourna vers la foule qui le suivait : « Je vous le dis, même en Israël, je n’ai pas trouvé une telle foi ! »
De retour à la maison, les envoyés trouvèrent l’esclave en bonne santé.

On remarquera en premier lieu que le Christ ne fait pas la morale : « Tu as un esclave ? Que c’est mal ! » Cette leçon aurait changé quoi ?

Il ne s’informe pas davantage sur la prise d’intelligence qu’a le centurion de sa foi. Après tout, ce dernier n’appréhende peut-être Jésus que comme un opportun faiseur de miracles.

Peu importe, Dieu ne demande qu’une grâce : croire d’abord.

L’histoire ne nous dit pas, c’est dommage, ce que fut par la suite la vie de ce centurion.

retrouvaille

La simple vue d’un être humain devrait nous émouvoir au moins autant – au moins autant ! – que tous les monts et merveilles que nous offre le monde. Mais si le cerf garde la grâce du faon, nous conservons si peu celle de l’enfant.

Notre véritable liberté est alors de vouloir la retrouver, c’est-à-dire de l’accueillir une seconde fois. Une trace de ces retrouvailles n’est certainement pas en notre miroir. En l’autre, plus sûrement, quand d’une vue simple – simplifiée – nous apercevons en lui, quel qu’il soit, une image du Père.

souplesse

La musique de Pierre Eliane sur les mots de Thérèse d’Avila, ou l’inverse.

« La souplesse du cœur » : rien de moins courant en cette époque où tout est dû, la joie sur catalogue et surenchère insatiable pour avoir raison de tout, la nature y compris.

« Il ne faut pas discuter », dit Thérèse d’Avila. C’est, commente Pierre Eliane, « n’être ni passif ni résigné », mais éprouver cette active dilatation de l’âme où la gratitude délivre de nos volontés sourdes de mainmise. Alors seulement peut s’entendre ce « tout est grâce » d’une autre Thérèse, de Lisieux.

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mérite

Certains s’accordent tant de mérites qu’ils tendent à se suffire à eux-mêmes.

D’autres a contrario s’en prêtent tellement peu qu’ils pourraient être enclins à croire que Dieu ne peut s’intéresser à eux, songeant peut-être que seule une vie d’Abbé Pierre ou de Mère Teresa trouve grâce, là-haut. Il n’est rien d’infiniment plus faux.

Le Christ n’est pas venu pour les bien-portants, il n’en trouverait pas, si ce n’est de cet embonpoint de l’âme appelé vanité.

guérison

Les miraculés – comme on le dit parfois avec dédain – peuvent mettre sur la table l’intégralité de leur dossier médical mais pas soumettre à examen la signature intérieure – qui en eux ne laisse aucune place au doute – de leur guérison. Il est un point commun chez ces êtres que la grâce a touchés de cette manière : ils ne la ramènent pas, ne ramènent rien à eux, s’excuseraient presque. « Pourquoi moi ? Je ne le mérite pas, pas plus qu’un autre. » Ils ne deviennent pas des sûrs d’eux face à l’inconnu mais sûrs de l’inconnu face à eux, conscients du signe fait à tous par une guérison dont de beaux esprits n’auront cure et que des cœurs simples accueilleront.

orchidée

Robert Aron : « Le scénario relatif à la fécondation des orchidées est ingénieux. L’agent de l’opération est insecte ou mouche. Il s’agit, l’ayant fait entrer par l’orifice supérieur, de l’obliger à sortir par le couloir latéral, non sans avoir au préalable enduit ses ailles de pollen et fécondé au passage les ovules. Comment forcer l’insecte à suivre cet itinéraire ?

En pénétrant par le haut, il bute, à mi-chemin, dans une petite coupe, remplie d’eau, où ses ailes vont se mouiller et ne lui permettront dorénavant plus de voler. Il tombe au fond, où il rencontre le pollen, dont les grains se fixent à son corps. Dans ses efforts pour sortir, alors qu’il ne peut plus s’élever dans l’air, il doit suivre le fond de la fleur et emprunter le canal latéral. Il passe ainsi sur l’ovule, qui se trouve alors fécondé.

Ce scénario ne peut pas s’expliquer par des raisons purement positives et déterministes, ne peut pas résulter d’une adaptation matérielle, conforme aux théories de Darwin ou de Lamarck. »

Mon Père travaille, nous dit le Christ. J’ai dans l’idée qu’il lui arrive aussi de s’amuser.

mère

« Ils devraient commencer par essayer de mieux connaître la religion qu’ils s’attachent à combattre », disait Pascal. Les temps ne changent guère.

J’ai souvenir d’un échange avec un homme par ailleurs érudit me soutenant, non sans hargne, que le terme de mater incorrupta appliqué à la Vierge Marie constituait une insulte faite à toutes les femmes, l’acte sexuel étant conséquemment vu comme une souillure. Mon Dieu ! Vous nous avez demandé de croître et nous multiplier et êtes bien placé pour savoir que cela ne s’opère pas avec le bout du nez. L’acte sexuel n’est par principe et en lui-même le lieu d’aucune souillure (il est toutefois des manières de le consommer qui confinent à la barbaque plus qu’au festin).

Mon interlocuteur érudit confondait – il n’est pas le seul – conception virginale et immaculée conception.

La conception virginale est relative à la fécondation de Marie par l’Esprit Saint – « qui est Seigneur et qui donne la vie » -, in fine donc rien de surprenant ! Mater incorrupta se rapporte exclusivement à l’immaculée conception de Marie, dont le dogme stipule qu’elle a été préservée pure de toute souillure du péché originel. Ce dernier (cf. genèse) a altéré notre ressemblance à Dieu, sa présence en nous est la part du pauvre. Mais Marie, elle, porte en plénitude en son sein la deuxième personne de la Trinité. Maurice Zundel en une phrase illumine ce Mystère :  « Marie naît de Jésus dans son être de grâce, avant que Jésus ne prenne chair dans sa chair immaculée. »

Dieu ne peut nous accorder à discrétion – hors maternité divine – la grâce d’une immaculée conception (cela constituerait alors une voie de rédemption faisant de l’Incarnation, la Croix et la Résurrection un simulacre). Marie n’est donc pas pure parce qu’elle va être la Mère de Dieu, c’est parce qu’elle est la Mère de Dieu qu’elle est pure. L’immaculée conception est inhérente et subordonnée à la grâce de sa maternité divine. C’est pourquoi Marie a pu dire à Lourdes « Je suis l’immaculée conception », parfaitement synonyme de « Je suis la Mère de Dieu ». Et la nôtre.

don

Un mal ne procède pas forcément d’une absence de vertu mais peut éclore sur cette forme habile de l’orgueil qu’est une vertu autocentrée.

A la fin du IVème siècle vécut un moine chrétien nommé Pélage dont l’ascétisme professa la capacité de l’homme à atteindre un haut niveau d’élévation spirituelle, jusqu’à la sainteté, par la seule force de son âme, son esprit, sa volonté. Un conflit théologique rapidement l’opposa à Saint-Augustin qui eut cette réplique foudroyante : « Vous faites consister la grâce du Christ dans son exemple et non dans le don de sa personne. »

Une humanité qui récuse le don refuse également sa finitude et par suite, y compris sous les atours du bien, s’autodétermine puissamment sans limites. Ainsi qui fait l’ange fait la bête.

part

La parabole des ouvriers de la onzième heure souvent provoque un sentiment disons mitigé. Que des vendangeurs d’une fin d’après-midi soient rétribués au même plein salaire que ceux de toute une journée déroge à notre sens du mérite et de l’équité.

L’économie et la justice divines n’étant pas les nôtres, les appréhender à l’aune de nos réflexes humains pourrait en l’espèce relever d’une triple immaturité spirituelle. Celle d’abord de se supposer implicitement ouvrier d’un lever du jour. D’ignorer ensuite que l’on peut ardemment en une heure (a)cueillir au moins autant qu’en dix heures assoupi.

Enfin et surtout : outre que tout est don, et grâce, une plénitude de joie est indivisible.

allusion

Nos brouhahas* de paroles et d’agitations, en tous genres nos étalages, barbouillent tout. Ce que l’on a sous les yeux devient alors la chose la plus difficile à voir.

De même que l’on fixe un bateau à quai, de même faut-il fixer un regard pour qu’une certaine qualité de la chose regardée ne nous échappe pas. C’est ce que nous faisons par exemple quand nous contemplons une œuvre d’art. Nous voici absorbés, intérieurement s’installe un silence qui nous isole des bruits extérieurs, et cette qualité de silence donne à voir : plus finement des détails, clairement des intentions, en sorte que la chose contemplée s’avère porteuse d’informations. Il en résulte non seulement un émerveillement mais une gratitude, parce que cette perception nous enrichit. Un moment de grâce.

La beauté du monde, à bien y regarder, est pure allusion.

* Les mots sont un délice ! Brouhaha s’avère être une altération de l’hébreu, barukh habba : « béni soit celui qui vient. »

regard

Qu’est-ce que la foi ? Autant d’êtres que d’itinéraires vers elle en ce cercle bleu quand tout d’un coup ou pas à pas la vie prend une autre dimension, un sens jusqu’alors inaccessible  Ce sens est qu’il en existe un. Nous ne sommes pas des vers poussés par hasard sur une croûte terrestre par l’effet combiné d’un taux d’humidité et d’ensoleillement adéquats. Nous ne sommes que des enfants, et c’est ce regard émerveillé de l’enfance que donne la foi, qui est un don.

Le verbe vivre conjugué au temps présent et le verbe voir au passé simple – on devrait dire simplifié –  savoureusement s’harmonisent en notre langue au point de pouvoir dire qu’on ne croit pas en Dieu : on le vit.

faille

Il est une expression que le monde trouve empreinte d’un cléricalisme désuet et qui est pourtant la clé de toutes nos étroites cellules : « se reconnaître pécheur. » Il ne s’agit pas d’abord de confesser quelques imperfections – la mondanité même y consent – mais d’être, dans la liberté de nos pas plus grande que nos fautes, fils prodigue d’un Père.

Mais, disait Péguy, on n’a pas vu mouiller ce qui était verni… Les “honnêtes gens“ – ceux qu’on nomme tels et qui aiment à se nommer tels -, n’ont point de défauts dans leur armure. Leur peau de morale intacte leur fait une cuirasse sans faute… Ils ne présentent point cette entrée à la grâce qu’est le péché… Les “honnêtes gens“ ne mouillent pas à la grâce !

responsabilité

La spécificité prodigieuse du christianisme est l’Incarnation : Dieu s’est fait homme. Très naturellement, il a été un enfant, d’une certaine manière le demeure, ce que passé Noël nous sommes portés à oublier. Ce que nous risquons alors de perdre de vue est la responsabilité vis-à-vis de Dieu qui nous incombe, la même exactement que celle vis-à-vis d’un enfant : le protéger. De quoi ? De nous-même pour commencer comme en ce monde de tout ce qui le dénature, le défigure, le falsifie. Il s’agit dès lors de lui faire grâce autant au moins que lui rendre grâce.

Ces deux sens – rendre grâce, faire grâce – se trouvent simultanément inclus dans le verbe bénir dont on remarquera pourtant qu’il sait à l’usage à quoi s’en tenir : nous bénissons Dieu, il nous bénit.

cœur intelligent

Jean-Luc Mélenchon est sans doute un homme de cœur en plus d’un homme intelligent mais l’amalgame souvent n’opère pas, l’harmonie reste dissonante.

S’éclaire, à contre-jour, la prière à Dieu de Salomon, « donne-moi un cœur intelligent », comme si l’alliance des deux n’avait rien d’automatique, la cohérence de leur interaction nécessitant un catalyseur : la grâce hors de laquelle tout regard demeure obscurci.