Dans son triangle œdipien, Freud introduit de manière arbitraire un désir objectal du fils pour la mère.
René Girard explique ce désir de manière plus rationnelle et convaincante. Le fils a pour modèle le père et va donc désirer ce que désire le père : en premier lieu la mère. Mais ce modèle est aussi obstacle. Plus grand sera le modèle, plus grand sera l’obstacle et donc la force à déployer pour le dépasser, c’est-à-dire l’abattre. D’où, très tôt dans l’humanité, l’apparition d’interdits, à commencer par l’inceste et le parricide, visant à refouler la violence.
Le mécanisme mimétique opère d’une manière analogue sur le plan collectif. Plus l’indifférenciation croît, plus le risque de violence s’exacerbe. Au paroxysme de la rivalité mimétique, la violence s’abat sur l’un des membres de la communauté dont le lynchage a pour effet de restaurer la paix, ce qui conduit d’autant plus aisément à le considérer a posteriori comme coupable. En vérité, cette victime n’est qu’un bouc-émissaire (le bossu, le borgne…., décrit dans les mythes). René Girard montre comment les mythes de l’humanité sont le récit, vu du côté des persécuteurs, du lynchage d’une victime innocente, et comment par suite cette violence est dans les sociétés archaïques fondatrice du sacré : le sacrifice ayant restauré la paix, ce sacrifice va être reproduit de manière préventive, d’abord en sacrifiant d’autres hommes, puis des animaux. D’où l’apparition des rites qui sont des sacrifices offerts à la première victime ainsi divinisée. Un meurtre fondateur est à l’origine du sacré, c’est ce que disent les mythes mais en le taisant, en le disimulant, parce que les lyncheurs sont persuadés de la culpabilité de la victime sacrificielle et que le mécanisme victimaire a besoin d’opacité pour se proroger.
Les textes judéo-chrétiens se démarquent radicalement des mythes au point de ne pas en être, parce que précisément ils révèlent ce mensonge et cette violence fondatrice de toute culture humaine. Depuis Job sur son tas de fumier jusqu’à la révélation ultime de Jésus sur la Croix, c’est l’innocence qui est proclamée. Loin d’être obtenu par la violence, le triomphe de la Croix est le fruit d’un renoncement si total que la violence peut se déchaîner tout son saoul sur le Christ, sans se douter qu’en se déchaînant, elle rend manifeste ce qu’il lui importe de dissimuler, sans soupçonner que ce déchaînement va se retourner contre elle cette fois car il sera enregistré et représenté très exactement dans les récits de la Passion, écrit René Girard, en commentaire de Saint-Paul : Le Christ a effacé, au détriment des commandements, l’accusation qui se retournait contre nous ; il l’a fait disparaître, il l’a clouée à la croix, il a dépouillé les Principautés et les Puissances, il les a données en spectacle à la face du monde, en les traînant dans son cortège triomphal.
Du Sacré au Saint, du sacrifice des autres au sacrifice de soi, c’est Dieu qui se donne.