crise

L’Eglise est en crise, répète à l’envi ses détracteurs.

En crise, elle l’est depuis l’origine, deux milles ans. Douze hommes improbables autour du Christ et à leur tête, Pierre angulaire, un renégat avant même que le coq n’ait chanté trois fois. L’Eglise Est crise. Inadaptée, inadaptable, toute à l’inverse de l’injonction du Monde rêvant de la faire entrer dans le rang.

Elle, libre de Dieu, dans le rang !

dalle

Il existe me semble-t-il deux profils de pape : les plutôt Pierre, les plutôt Paul. Les premiers sont fondateurs, les seconds bâtisseurs, étant bien entendu que l’un n’exclut pas l’autre, que sont les deux tendances en calices communicants. Chez les uns le cœur forge l’esprit, chez les autres l’esprit attise le cœur. Les Pierre sont de chair spirituelle, les Paul d’esprit charnel. L’ardeur les unit, ici plus enveloppante, là plus incisive.

Il est probable que, par nécessité, l’on trouve plus de bâtisseurs que de fondateurs. Jean XXIII, fondateur. Paul VI, Jean-Paul II, Benoît XVI, bâtisseurs. François, fondateur. Et tous apôtres, avec leur sensibilité et, plus encore, leur mesure de l’urgence du temps.

Le pape François sait pouvoir s’appuyer sur le corpus théologique consolidé par ses prédécesseurs. Sur une dalle première, la force des trois piliers suivants permet d’asseoir une dalle nouvelle, de revenir au fondement : la loi, mais pour l’homme. Dès lors, la miséricorde devant.

harmonie

D’une certaine manière, la religion est à la foi ce que le solfège est à la musique, un moyen non pas une fin. Pour que sa musique parvienne jusqu’à nous, il est heureux que Mozart ait pu écrire ses partitions.

Que nous soyons insensibles à celle du Christ est notre pleine liberté. Que les fausses notes de ses piètres interprètes nous laissent à distance ne peut que s’entendre. Que le second point serve de prétexte au premier et c’est nous qui jouons faux.

irrigation

L’Eglise prétend conduire au Christ et elle en éloigne, elle se veut source et ressource et s’avère repoussoir et refouloir, une institution soi-disant divine mais en réalité poussiéreuse en diable, rigide, vieillotte, dépassée comme l’idée même de Dieu. On pourrait charger encore davantage la barque de Pierre de toutes ces considérations courantes, qui furent les miennes.

Paul Ricœur disait que « le nœud philosophique de nos problèmes, c’est le rapport entre la liberté et l’institution… Nous sommes happés par le fantasme d’une liberté sans institution. Or une liberté qui n’entre pas en institution est potentiellement terroriste. »

Sans l’Eglise, le nom de Jésus ne serait aujourd’hui connu que d’une poignée d’historiens. L’Eglise, avec les défaillances qui sont les siennes, les nôtres, a préservé cette liberté de l’homme de rencontrer Dieu, à moins que ce ne soit l’inverse. Elle ne propose ni n’impose rien en bloc. Tout émane de l’intériorité, d’une vie spirituelle qui est relation, non pas leçons apprises mais approfondissements personnels et révélations intimes. Ce que l’on nomme dogme, doctrine, n’est que cette prise d’intelligence en communion du Mystère à travers deux mille ans de foi, d’hommes de foi. L’Eglise ne délivre pas du dehors ce qu’elle porte en elle, moyennant quoi on ne peut de l’extérieur lui en reprocher l’opacité. C’est dans une croissance spirituelle au rythme de chacun, avec ses grâces et résistances, que la compréhension de la foi se déploie, librement enracinée dans la rencontre, à l’origine de tout, de Jésus-Christ.

Le Père André Manaranche a cette phrase magnifique : « On n’est pas chrétien par imitation, mais par irrigation. » Tout le sens est là, l’Eucharistie en son cœur, des sacrements de l’Eglise.

chocolat

L’Eglise est humainement ce qu’elle est, ce que nous sommes – « le scandale des esprits forts, la déception des esprits faibles », disait Bernanos -, mais elle a spirituellement partie liée avec l’absolu et on ne manipule pas le logos comme un lego. Elle est dès ici-bas promesse d’une éternité qui renverra la mode et l’air du temps au rayon des invendus.

Et l’on voudrait qu’elle s’adapte à la modernité ? On demandera un jour aux écureuils de se mettre au Nutella, on fabriquera des pots à taille de noisette que des marchands du temple essaieront à Central Park de leur vendre en cornet.

C’est aussi sot que ça.